Où en est-on vraiment en en matière de taxis autonomes et d’intelligence artificielle dans le transport de passagers ? La France a un cadre légal prêt, les constructeurs peaufinent leurs algorithmes, et l’intelligence artificielle s’invite dans les débats de fond. Mais sur le terrain, les taxis autonomes se font encore rares. Voici un point complet sur ce qui bouge, et surtout ce qui coince.
Ce que dit la législation sur la conduite autonome
Depuis septembre 2022, la France autorise les véhicules à délégation de conduite. Trois niveaux sont définis.
- Niveau 1 : Aides à la conduite classiques (rien de neuf).
- Niveau 2 : Le véhicule peut gérer certaines tâches, mais vous gardez les mains sur le volant.
- Niveau 3 : Le véhicule conduit seul dans certaines conditions, mais vous devez reprendre la main si besoin.
Le décret n°2021-873 et l’ordonnance de 2021 forment la base juridique. L’entrée en vigueur a été rendue possible par un amendement à la Convention de Vienne sur la circulation routière. Avant, il fallait un conducteur humain actif. Depuis, on peut théoriquement rouler sans personne derrière le volant. Enfin, presque.
Ce qui change en septembre 2025 en Europe
Le règlement 171 de la CEE-ONU, adopté en mars 2025, ouvre la voie aux System-Initiated Manoeuvres (manœuvres initiées automatiquement) sur autoroutes. À partir du 26 septembre 2025, les véhicules autonomes de niveau 3 auront le droit de changer de voie ou de doubler sans confirmation humaine, à condition que le conducteur supervise.
Les États membres peuvent encore faire barrage. Mais d’après les estimations officielles, il y a 95 % de chances que l’application soit généralisée à l’échelle européenne. Ce serait une première.
En France, légal mais pas visible
Oui, les véhicules autonomes peuvent rouler. Mais seulement sur voies rapides avec terre-plein central. Et à 60 km/h maximum.
Autant dire que pour un taxi en centre-ville, ce cadre est inutilisable. Pas de priorité à droite, pas de piéton qui traverse sans prévenir, pas de scooter en roue arrière : la technologie reste confinée aux routes peu fréquentées. C’est là que réside le grand écart entre la loi et la pratique.
Pas d’investissements, pas de véhicule autonomes
Le rapport d’Anne-Marie Idrac est sans appel : le cadre juridique est là, mais les investisseurs privés, eux, ne suivent pas.
Développer une flotte de taxis autonomes coûte cher. Et pour l’instant, personne ne semble prêt à miser gros sur un modèle qui ne peut rouler ni en centre-ville, ni à pleine vitesse. Résultat : pas de business plan viable, malgré l’autorisation de circuler.
Tensions sur le terrain : VTC vs taxis vs machines
En mai 2025, le gouvernement a durci le ton contre les VTC qui font de la maraude illégale. Objectif affiché : protéger les taxis. Mais en arrière-plan, une autre crainte monte : celle d’une automatisation massive.
Que va-t-il se passer quand un constructeur proposera des flottes de véhicules autonomes avec service 24h/24, sans pause déjeuner ni coût social ?
Pour l’instant, l’État tente de contenir les plateformes numériques. Contrôles renforcés, projet d’agrément obligatoire pour exercer, et durée minimale imposée pour les réservations VTC. Mais si les véhicules sans conducteur deviennent compétitifs, ce sont les chauffeurs humains eux-mêmes qui se retrouveront en concurrence directe.
Le cas Tesla : un déclencheur possible
Dès septembre 2025, Tesla pourrait activer officiellement son système FSD (Full Self-Driving) en Europe. Le conducteur n’aurait plus à intervenir, sauf situation imprévue. Le pack FSD, déjà installé sur de nombreux véhicules, attendait cette autorisation depuis des années.
Une fois en place, chaque propriétaire d’une Tesla équipée pourrait théoriquement devenir… opérateur de taxi sans chauffeur.
Cela poserait des questions techniques (assurance, agrément, fiscalité), mais aussi sociales. Qui est responsable en cas d’accident ? Comment intégrer cela au cadre taxi existant ? Quid de la licence ?
Les Chinois en avance, et déjà en route pour l’Europe
Pendant que l’Europe peaufine ses règlements, la Chine déploie ses véhicules autonomes à grande échelle.
Baidu prévoit ses premiers tests de taxis autonomes en Suisse fin 2025. C’est bien plus qu’un symbole. Cela signifie que la technologie est prête, et que l’Europe pourrait dépendre d’acteurs étrangers pour ses futures flottes de transport urbain.
Pourquoi ce décalage ? Parce que les Chinois investissent massivement dans l’IA, et que leur réglementation est plus souple. Là-bas, on teste en conditions réelles. Ici, on consulte encore les comités.
La donnée : le pétrole de l’autonomie
Les véhicules autonomes collectent tout : trajets, comportements, visages, habitudes. Or, ces données sont sensibles. En 2024, les fichiers des taxis new-yorkais ont permis de retrouver les adresses et noms des passagers à partir de données censées être anonymes.
La CNIL, en partenariat avec l’IMT et TeraLab, développe aujourd’hui des solutions techniques pour protéger ces données tout en permettant leur exploitation.
Mais rien n’est simple. La confidentialité des trajets, des identités, des mouvements dans l’espace public devient une question politique autant que technologique.
Alors, est-ce que le métier de taxi est en danger ?
Les véhicules autonomes ne remplaceront pas les taxis en 2025. Pas en ville, pas sur les petites routes, pas pour aller chercher une grand-mère avec un déambulateur un dimanche soir sous la pluie.
Dès dès que la technologie franchira le cap technique et légal, certains segments du métier seront touchés : navettes d’aéroport, zones d’affaires, dessertes périphériques.
Mais même si la trajectoire est tracée, il reste encore trop de barrière à faire tomber pour réellement menacer les taxis. Et c’est sans compter sur le choix du client qui reste la clé : peu de gens semblent prêts à monter dans une voiture sans chauffeur et à faire confiance à un algorithme pour les amener jusqu’à leur destination.
Les chauffeurs devront s’adapter : se former, se spécialiser, miser sur la relation humaine, sur le service, sur des niches à haute valeur ajoutée.
Aujourd’hui, c’est encore le chauffeur qui tient le volant. Mais demain, il faudra surtout tenir le cap.
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